Suicides et fêtes de Noël
Une légende urbaine suggère que les troubles psychopathologiques auraient tendance à augmenter autour des fêtes, en particulier à Noël. Cette légende globalement fausse est massivement relayée par les médias (APP, 2016), masquant une réalité tragique bien plus complexe et qui pourrait être faire l’objet d’une meilleure prévention.
Une erreur sur les dates…
En premier lieu, rappelons que les gens se suicident toute l’année, il n’y a pas de règle générale s’appliquant à ce sujet. Les personnes vulnérables, isolées socialements, précaires, et présentant un trouble de l’humeur, sont à risque de ce suicider (et ce risque est permanent).
Concernant les fêtes de fin d’année, les taux de suicide chutent aux alentours de Noël, mais augmentent à partir du jour de l’an (Carley et Hamilton, 2004 ; Sansone et Sansone, 2011). L’humeur générale des personnes en souffrance ou isolées peut se détériorer et le nombre de décès liés à l’alcool peut augmenter à l’approche des fêtes de fin d’année ; toutefois, les consultations psychiatriques dans les salles d’urgence et les services d’hospitalisation sont plus faibles à Noël, tout comme la prévalence des comportements autodestructeurs et des suicide (Sansone et Sansone, 2011). L’effet des fêtes de Noël est donc décalé de quelques jours : c’est au début du mois de janvier que les conséquences de la vulnérabilité et de l’isolement social causent le plus de drames.
Cet effet a pu être retrouvé dans de nombreuses études : aux USA (Nakamura, et al., 1994 ; Bridges, 2004), en Autriche (Plöderl, et al., 2015), au Royaume-Uni (Masterton, 1991 ; Beauchamp et al., 2014) et en Angleterre (Cavanagh, et al., 2016), aux Pays-bas (Hofstra, et al., 2018), au Danemark (Jessen et Jessen, 1999), en Hongrie (Bozsonyi, et al., 2005 ; Zonda et al., 2009), ainsi que dans une étude multicentrique menée par l’OMS (Jessen, et al., 1999) sur 11 pays d’Europe (Allemagne, Angleterre, Autriche, Finlande, Hongrie, Italie, Norvège, Pays-bas, Suède, et Suisse).
L’explication principalement retenue de ce phénomène est celui d’un effet rebond. Les fêtes de Noël sont une période d’espoir, apportant des envies de changement positif et d’amélioration, qui exercent un effet protecteur : la pression sociale des fêtes pousse la personne à idéaliser sa situation. Lorsque des personnes vulnérables passent des fêtes décevantes, ou vivent un isolement pendant celles-ci, leur humeur se dégrade (Friedberg, 1990). Au sortir des fêtes, et donc a fortiori a partir du 1er janvier, l’effet protecteur des fêtes se dissipe, et les promesses d’espoir non tenues induisent une forte désillusion, provoquant un rebond des taux de suicide. Ce phénomène est appelé l’effet de « promesse brisée » (Gabennesch, 1988), la déception liée aux attentes positives non remplies serait à l’origine des taux de suicides élevés sur les premières semaines de l’année.
Que faire ?
Si dans votre entourage des personnes souffrent et présentent des signes de dégradation de l’humeur, leur donner de l’affection à Noël est une bonne idée pour prévenir la dégradation de leur humeur. Cependant, ces données confirment que la vigilance vis-à-vis des plus fragiles doit être maintenue en particulier après le nouvel an, pour mieux les aider et les protéger. Il faut redoubler de vigilance sur le début de l’année. N’hésitez pas à contacter le numéro d’urgence national 31 14, et à consulter la page dédiée du ministère des solidarités à ce sujet : que faire face à une crise suicidaire.
Références
APP. Nearly Half of News Stories Still Making the False Holiday-Suicide Connection. (2016).
Beauchamp, G. A., Ho, M. L., & Yin, S. (2014). Variation in suicide occurrence by day and during major American holidays. The Journal of emergency medicine, 46(6), 776-781.
Bozsonyi, K., Veres, E., & Zonda, T. (2005). The effect of public holidays on the suicide drive (frequency) in Hungary (1970-2002). Psychiatria Hungarica: A Magyar Pszichiatriai Tarsasag tudomanyos folyoirata, 20(6), 463-471.
Bridges, F. S. (2004). Rates of homicide and suicide on major national holidays. Psychological reports, 94(2), 723-724.
Carley, S., & Hamilton, M. (2004). Suicide at Christmas. Emergency Medicine Journal, 21(6), 716-717.
Cavanagh, B., Ibrahim, S., Roscoe, A., Bickley, H., While, D., Windfuhr, K., … & Kapur, N. (2016). The timing of general population and patient suicide in England, 1997–2012. Journal of affective disorders, 197, 175-181.
Friedberg, R. D. (1990). Holidays and emotional distress: Not the villains they are perceived to be. Psychology: A Journal of Human Behavior.
Gabennesch, H. (1988). When promises fail: a theory of temporal fluctuations in suicide. Social Forces, 67(1), 129-145.
Jessen, G., & Jensen, B. F. (1999). Postponed suicide death? Suicides around birthdays and major public holidays. Suicide and Life‐Threatening Behavior, 29(3), 272-283.
Jessen, G., Jensen, B. F., Arensman, E., Bib‐Brahe, U., Crepet, P., Leo, D. D., … & Wasserman, D. (1999). Attempted suicide and major public holidays in Europe: findings from the WHO/EURO Multicentre Study on Parasuicide. Acta Psychiatrica Scandinavica, 99(6), 412-418.
Nakamura, J. W., McLeod, C. R., & McDermott Jr, J. F. (1994). Temporal variation in adolescent suicide attempts. Suicide and Life‐Threatening Behavior, 24(4), 343-349.
Plöderl, M., Fartacek, C., Kunrath, S., Pichler, E. M., Fartacek, R., Datz, C., & Niederseer, D. (2015). Nothing like Christmas—suicides during Christmas and other holidays in Austria. The European Journal of Public Health, 25(3), 410-413.
Sansone, R. A., & Sansone, L. A. (2011). The christmas effect on psychopathology. Innovations in clinical neuroscience, 8(12), 10.
Zonda, T., Bozsonyi, K., Veres, E., Lester, D., & Frank, M. (2009). The impact of holidays on suicide in Hungary. OMEGA-Journal of Death and Dying, 58(2), 153-162.